Heureux hasards

Est-ce qu’une image spontanée a moins de valeur?

Il y a quelque temps, j’ai participé à une escapade d’une journée en compagnie de six amis, tous photographes s’il faut le spécifier. Loin de la ville et en bordure du fleuve, nous longions ce dernier en bavardant bien plus qu’en photographiant. La raison de notre rassemblement était d’ailleurs pour souligner cette amitié qui est née de notre affection commune pour le médium.

Sans s’en apercevoir, Johanne et moi nous sommes retrouvés un peu en retrait du reste de la bande. Seuls sur la berge, nous discutions des aléas de la vie : la famille, les enfants, le temps qui passe trop vite. Subitement, j’ai eu envie d’immortaliser ce moment parce qu’il était important pour moi. Pas question d’utiliser le téléphone qui ne me semblait pas approprié à l’ingénuité de l’instant. J’ai plutôt sorti de mon sac un bidule en plastique qui ressemble à l’arme du méchant dans un mauvais film de science fiction. « C’est quoi ça? », m’a lancé Johanne. « Un Sprocket Rocket! », lui répondis-je. « Crois-le ou non, cet appareil crée des images panoramiques sur pellicule 35 mm en exposant la totalité de celle-ci, même autour des perforations. Il suffit d’appuyer ici et… » Clic! « Oups, c’est fait. Le film qui se trouve à l’intérieur est expiré depuis plus de vingt ans alors soyons modestes dans nos attentes. » « C’est comme un jeu, ajoute Johanne, j’ai hâte de voir le résultat. »

Encore une fois, elle n’aurait su si bien dire : c’est comme un jeu. Et quand on s’amuse avec la photographie, les règles tombent, le désir de plaire à tout prix devient superflu et les images se suffisent à elles-mêmes. Le moment est là et on l’immortalise. Point. Advienne que pourra, on fait confiance à la vie et on s’abandonne à la simplicité. Le frisson d’avoir un bouton devant soi et l’envie folle de l’enfoncer prend le dessus sur la recherche du cadrage idéal ou de la symbolique du message!

Dans le fond, tout ce que ça prend pour créer des images qui témoignent des petites douceurs de la vie, c’est de réaliser qu’avoir de l’empathie pour son sujet est à tout le moins aussi important qu’une mise au point réussie. Si on peut tirer une leçon du fait de photographier à l’aide d’un jouet en plastique chargé d’un film périmé, c’est certainement de modérer ses craintes face à l’erreur ou l’accident et de laisser un peu de place à l’incertitude. Parfois quand on provoque la chance, elle nous sourit.

Après tout, est-ce qu’une image spontanée a moins de valeur? Quand la sincérité est au rendez-vous, la photo parle d’elle-même, et c’est souvent pour dire de belles choses.

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